Burundi: La protection sociale des travailleurs, une obligation encore ignorée par de nombreuses entreprises

La protection sociale des travailleurs burundais demeure un enjeu majeur, encore largement négligé par plusieurs employeurs, notamment dans le secteur privé. Les plaintes se multiplient de la part de salariés qui réclament leur affiliation à l’Institut National de Sécurité Sociale (INSS), dénonçant ainsi une violation manifeste du Code du travail.

Au Burundi ; un Code du travail a été conçu et promulgué pour encadrer les relations entre employeurs et employés et prévenir les conflits. Parmi les obligations qu’il impose figure l’affiliation de tous les travailleurs aux organismes de protection sociale. Pourtant, de nombreuses entreprises, en particulier privées, semblent ignorer cette exigence. Ce qui en résulte n’est que des milliers de travailleurs exposés à des licenciements abusifs ou des milliers de travailleurs qui terminent leur carrière sans aucune couverture sociale ni pension.

Selon l’article 29 du Code du travail en vigueur, « tout employeur est tenu d’affilier et d’immatriculer tous les travailleurs, de collecter et de verser régulièrement les cotisations aux organismes gestionnaires du régime de base obligatoire de sécurité sociale ». De plus, la Constitution du Burundi adoptée en 2018 reconnaît expressément le droit des travailleurs à bénéficier de cette protection.

Des témoignages alarmants


« On nous dit que nos cotisations sont payées, mais aucun d’entre nous n’a reçu un numéro d’immatriculation. »

Les témoignages recueillis illustrent l’ampleur du problème.
« Nous avons été contraints de signer un contrat sans en connaître le contenu ni pouvoir poser de questions. L’employeur nous a assuré que les cotisations à l’INSS sont versées, mais nous n’avons aucune preuve », affirme un agent de sécurité employé par la société « Les Vigiles Burundais ».
Cet employé demande également une revalorisation des salaires afin de les aligner sur les niveaux du marché actuel.

Un autre employé de la société « Les Vigiles Burundais » ajoute : « J’ai entendu dire qu’on cotise pour nous, mais je ne suis pas encore allé vérifier si cet argent est réellement versé ».

Il demande toutefois que les employés qui remplacent temporairement les absents (les « relayeurs ») soient considérés comme des travailleurs expérimentés dès qu’ils atteignent une année de service, car certains ont déjà dépassé ce seuil sans bénéficier de la prime accordée à ceux ayant cette ancienneté.

Presque même constat à la société « Powerful Guarding Company (POGCO) ».
« On nous dit que nos cotisations sont payées, mais aucun d’entre nous n’a reçu un numéro d’immatriculation. Nous doutons de la véracité de ces affirmations », déclare un de ses salariés.

Un autre employé de cette même société ajoute : « Nous n’avons jamais signé de contrat, et pourtant on prélève de l’argent de nos salaires. Nous craignons que les montants soient excessifs, faute d’informations claires. »

Certains travailleurs, par peur de représailles, refusent même de s’exprimer sur leurs conditions de travail. C’est le cas d’un employé d’une société de transformation de boissons.
 « Notre patron nous interdit de parler de ce qui se passe dans l’entreprise », confie-t-il sous anonymat.

Cette autocensure constitue un obstacle à la défense des droits des travailleurs. Elle reflète un climat de crainte, voire de résignation, dans un contexte où le dialogue social reste faible.

Contacté par la rédaction du Journal Shikiriza, Gilbert NDIKUMANA, responsable des opérations à la Société « Les Vigiles Burundais », dément certaines affirmations avancées par ces employés.
Il précise qu’aucune personne ne peut signer un contrat sans l’avoir préalablement lu.

Concernant les salaires, Gilbert Ndikumana répond qu’ils sont versés en fonction des montants payés par leurs clients.
 « Si nos clients acceptaient d’augmenter leurs paiements, les salaires de nos employés pourraient alors être revus à la hausse », ajoute-t-il.

À propos des disparités salariales, il explique que lorsqu’un employé est nouveau, il reçoit un contrat d’essai d’un an, car, dit-il, certains peuvent ne rester qu’un court moment ou adopter un comportement inapproprié.

Quant à ceux qui affirment ne pas savoir si leurs cotisations sont réellement versées à l’INSS, il affirme qu’ils ont le droit d’aller vérifier eux-mêmes à l’INSS.
« L’entreprise prend une contribution équivalente à 4 % du salaire de l’employé, tandis qu’elle verse également 9 % en sa propre part », précise-t-il.

Gilbert Ndikumana affirme également que chaque employé de leur société reçoit une carte d’assurance maladie lui permettant de se faire soigner sans problèmes.

Concernant la situation des relayeurs (les remplaçants), il assure qu’une solution sera trouvée en temps voulu. Gilbert NDIKUMANA rappelle également que tout employé ayant une préoccupation a le droit de s’adresser directement à la direction ou aux représentants syndicaux de l’entreprise, au lieu de se plaindre sans chercher de réponse claire.

Les médias appelés à jouer leur rôle


« Il faut utiliser les outils médiatiques pour informer le public et inciter au respect des obligations sociales. »

Lors d’une formation organisée le 3 octobre 2023 à l’intention des journalistes, Jacques Bukuru, journaliste senior et formateur en journalisme et communication, a insisté sur le rôle des médias dans la sensibilisation à la protection sociale. Il déplore une méconnaissance généralisée des missions de l’INSS, pourtant active depuis plus de 60 ans.

« Il est impératif d’utiliser les outils médiatiques tels que les reportages, émissions, articles et spots pour informer le public et inciter au respect des obligations sociales », a-t-il plaidé.

Il a également souligné que l’adhésion à la protection sociale ne profite pas seulement aux travailleurs, mais renforce aussi l’engagement et le sentiment d’appartenance des employés à leur entreprise.