Burundi : quand les industriels des boissons en bouteilles plastiques se mettent au service de l’environnement

À Bujumbura, capitale économique du Burundi, une alliance inédite entre industriels, autorités et citoyens redéfinit la gestion des déchets plastiques. Plus de 250 poubelles publiques, financées par les producteurs de boissons en emballage plastique pour un montant global d’environ 610 millions de francs burundais, ont été installées à travers la ville. Ce pas vers une capitale plus propre s’accompagne toutefois de nouveaux défis. Des experts plaident désormais pour une « destruction intelligente » des plastiques, afin de préserver durablement le lac Tanganyika, joyau écologique d’Afrique centrale.

Au cœur du centre-ville de Bujumbura, près de l’endroit populaire connu sous le nom de « Kuri Kiosque », Kevin Nduwimana vend des boissons sucrées emballées en plastique. Avant l’installation de deux poubelles publiques dans cet endroit où il travaille parmi les 250 placées dans toute la mairie, cet espace était constamment jonché de bouteilles en plastique éparpillées au sol. Aujourd’hui, il respire la propreté.

« Maintenant, avec ces deux poubelles, l’endroit est vraiment propre. Une nette différence se remarque par rapport à avant. Cet endroit, qui est au cœur de la capitale économique, figurait parmi les plus sales. Mais aujourd’hui, avec l’implantation de ces deux poubelles publiques, tout a changé », confie Kevin avec satisfaction.

Des changements visibles, mais la sensibilisation reste essentielle


Près de 209 000$ investis dans la fabrication et l’installation de 250 poubelles publiques à Bujumbura

Emery Nkunzimana, un autre  habitant rencontré sur les lieux, confirme cette amélioration visible, mais nuance l’enthousiasme : selon lui, la simple installation de poubelles publiques ne suffit pas. « Beaucoup de gens ne savent pas comment les utiliser, soit par ignorance, soit par négligence. Le ministère de l’Environnement devrait lancer des campagnes de sensibilisation pour un usage plus responsable », estime-t-il. Pour ce citadin, sans éducation écologique, même les meilleures initiatives risquent de perdre leur impact.

Depuis le lancement de la campagne nationale « Zéro déchet » par la Première dame, le gouvernement burundais tente de coordonner les efforts autour de la propreté et de la réduction des déchets plastiques. Christian Nimubona, directeur général de l’Environnement et de l’Assainissement au sein du Ministère de l’environnement, précise que cette campagne a d’abord connu un léger retard : « Les industriels n’avaient pas encore compris comment ils pouvaient s’engager à combattre les plastiques qu’ils produisent eux-mêmes. Heureusement, la situation a évolué ».

Aujourd’hui, plus de vingt entreprises productrices de boissons emballées en plastique se sont jointes au projet gouvernemental visant à faire de Bujumbura une ville sans pollution plastique. Ensemble, elles ont déjà investi plus de 610 millions de francs burundais, soit près de 209 000 dollars américains, dans la fabrication et l’installation de 250 poubelles publiques pour la collecte des plastiques réparties dans les différentes communes de la municipalité de Bujumbura.

« Nous nous sommes fixés un délai de deux à trois ans pour dialoguer avec toutes les parties prenantes et conjuguer les efforts afin que Bujumbura devienne une ville propre », explique le directeur général.
« Pour y parvenir, nous allons sensibiliser les décideurs politiques, la population et les industriels utilisant ou produisant les plastiques dans leurs activités au Burundi », ajoute-t-il.

Citoyenneté avant profit : la motivation des industriels


« Réduire la pollution plastique au Burundi, c’est une question de citoyenneté avant tout », martèle Jean Niyonkuru

Du côté des entreprises, la motivation dépasse la simple obligation réglementaire. Jean Niyonkuru, chargé des relations publiques au sein d’AKANOVERA, l’une des compagnies participantes, explique : « Après que le ministère nous a présenté son projet, nous avons compris qu’il ne s’agissait pas d’une contrainte, mais d’un engagement collectif. Avant d’être des producteurs d’emballages plastiques, nous sommes des Burundais. »

Il affirme que sa société, comme plusieurs autres, continuera à soutenir toutes les initiatives gouvernementales visant à réduire la pollution plastique au Burundi. « C’est une question de citoyenneté avant tout », conclut-il.

« Le plastique n’est pas forcément synonyme de nuisance. »


« Chez nous, le plastique n’est pas forcément synonyme de nuisance », indique Abigaëlla Jitimay

À Bujumbura, certaines initiatives citoyennes s’inscrivent dans la même logique. Abigaëlla Jitimay, à la tête de l’Initiative des Jeunes pour le Climat et le Développement (IJCD), a choisi d’aborder le problème sous un autre angle : la transformation des déchets plastiques en pavés écologiques. « Nous contribuons à la lutte contre les changements climatiques. Les plastiques finissent souvent dans les cours d’eau et les lacs. En les récupérant et en les transformant, nous réduisons la quantité qui se retrouve dans les océans. Chez nous, le plastique n’est pas forcément synonyme de nuisance. Nous les prenons d’opportunité, pas une menace », explique-t-elle.

Cependant, Abigaëlla reconnaît que la route reste longue. Selon lui, le tri des déchets n’est pas encore une habitude au Burundi, rendant la collecte difficile.

« Les gens ne séparent pas les déchets biodégradables des non-biodégradables. Cela complique le recyclage », déplore-t-elle. Les déchets plastiques sont souvent dispersés à travers toute la ville, ce qui rend leur collecte laborieuse et leur transport coûteux, faute de moyens logistiques suffisants.

« Nous espérons que cette initiative nouvellement lancé par le ministère de l’environnement et les professionnels de l’industrie du plastique changera la donne. » fait-elle savoir, avec espoir.

Un défi environnemental d’ampleur régionale


« La pollution plastique à Bujumbura dépasse la simple gestion urbaine », explique Prof. Théophile Ndikumana

Pour le professeur Théophile Ndikumana, chimiste-physicien à l’Université du Burundi, la problématique de la pollution plastique à Bujumbura dépasse la simple gestion urbaine : elle touche à l’équilibre écologique du pays et de la région.

« Les bouteilles en plastique sont à usage unique. Leur accumulation dans le lac Tanganyika via des cours d’eau y affluant constitue une menace pour l’écosystème », alerte-t-il.

Il explique que les plastiques se dégradent en micro plastiques, ingérés par les poissons, perturbant la chaîne alimentaire et menaçant la sécurité alimentaire de millions de personnes vivant autour du lac, au Burundi, en Tanzanie, en Zambie et en RDC.

Il fait savoir que ladite pollution entraîne également une perte progressive de la biodiversité, détériore la qualité de l’eau, favorise la prolifération de maladies et compromet des secteurs vitaux comme la pêche, l’agriculture et le tourisme. Face à ces dangers, le chercheur plaide pour une gestion concertée et transfrontalière du plastique, ainsi qu’une sensibilisation citoyenne renforcée afin de préserver durablement ce patrimoine naturel. Selon lui, la mise en œuvre d’une « destruction intelligente » de ces plastiques constituerait une solution durable pour atténuer les impacts écologiques sur le lac Tanganyika et préserver ce patrimoine naturel vital.

Vers une capitale « zéro déchet plastique » ?

Entre la mobilisation des industriels, les efforts gouvernementaux et la créativité des jeunes entrepreneurs, Bujumbura semble amorcer un tournant décisif vers une économie circulaire. Mais pour que le rêve d’une capitale avec « zéro déchet plastique » devienne réalité, il faudra avant tout miser sur la sensibilisation, la responsabilité collective et un changement profond des comportements.

Samuel Mbonimpa